Prenons la main, organisons-nous entre citoyens, et construisons une candidature commune pour éviter le pire en 2022. Plusieurs initiatives poursuivent le même objectif, mais elles sont pour la plupart trop proches des partis ou trop institutionnelles pour espérer ramener à la politique tous les désengagés et tous les découragés. Or, sans eux, il n’est pas possible d’espérer une alternative.
Abstentionnistes, désengagés et découragés
15% de taux de participation au premier tour des législatives partielles dans le XXème arrondissement de Paris dimanche 30 mai. Pas beaucoup plus dans les trois autres circonscriptions ni au second tour du 6 juin. Pourtant « l’offre » politique n’a jamais été aussi vaste, ni les enjeux aussi cruciaux. Parmi les jeunes ayant l’intention de voter en 2022, Marine Le Pen est le premier choix. Emmanuel Macron le second…
Les initiatives se multiplient pour que les partis de gauche et les partis écologistes s’unissent et présentent un candidat unique en 2022 pour ne pas se retrouver au second tour entre l’extrême droite et une droite de moins en moins subtile. L’équation paraît simple : Macron et Le Pen étant porteurs tous deux d’un libéralisme économique destructeur, quoi qu’ils en disent, et leur mépris vis-à-vis des citoyens étant bien identifié, il est possible de se rassembler pour une alternative heureuse.
Mais ces initiatives perpétuent souvent sans en avoir conscience ce qui fait fuir tous les abstentionnistes d’aujourd’hui et de demain. L’autosatisfaction de réunir les bien-pensants ne suffit pas à renverser la dynamique mortifère de notre démocratie, peut-être même l’accélère-t-elle. Et l’on est en train de perdre nos dernières cartouches dans ce combat sur ce que nous pensons tous décisif.
Comment faire ? Comment ramener à la politique ceux sans qui rien ne sera possible ? Nous essayons aujourd’hui un autre chemin. Celui qui consiste à construire ensemble un « nous » et pour cela « apprendre ensemble ». C’est l’idée de Prenons la main 2022 (https://www.prenonslamain2022.fr/) , qui vise à rassembler avec pour seul programme de reprendre la main ensemble pour ces élections. Pas de programme préalable autre que celui ambitieux de reconstruire ensemble la démocratie.
Pour cela il faut réussir à oublier tous ses combats passés, accepter de construire avec des pro-nucléaires lorsqu’on s’est battus pendant plusieurs décennies contre, accepter de construire avec des pro-européens lorsqu’on pense que le frexit est un préalable à tout le reste.
On ne travaille pas ses dissensus lorsqu’on est en colère
Selon nous, c’est la seule solution. La tentative de rassembler des découragés de la politique autour d’un socle programmatique nous paraît vouée à l’échec. Parce qu’elle ne laisse aucune chance à la construction d’un « nous » assez large pour refonder quoi que ce soit et parce qu’elle reproduit la logique même du jeu politique. « Travailler nos dissensus » ? On ne travaille pas ses dissensus lorsqu’on est en colère, et l’on sait combien nous sommes en colère. Si des intellectuels veulent le faire, très bien. Même si l’on sait combien sont fragiles ces compromis. A la limite, qu’ils travaillent plutôt « l’encompassing », démarche plus ambitieuse mais plus pragmatique : l’encompassing est un terme anglais qui vise à construire un modèle plus large que deux autres, qui les « comprend » tous les deux, au deux sens du terme comprendre. Mais ne demandons pas aux citoyens de pratiquer l’encompassing, pas avant qu’ils ne se soient ressaisis de l’envie du politique. Et pour ça, une forme d’éducation populaire nouvelle est à penser. Celle où on n’explique pas que la bonne démocratie est une démocratie participative où on installe un parlement de citoyens, ou une démocratie où on peut faire des RIC, ou quoi que ce soit d’autres. Ayons confiance en les citoyens pour la construire eux-mêmes, cette démocratie. Trouvons ensemble des clefs. Que les intellectuels apportent des savoirs mais pas de solutions toutes faites. Sinon, forcément, l’on n’y arrivera pas.
Hier, à entendre les plus militants, Habermas et l’éthique de la discussion dans l’espace public étaient la clef pour refonder la démocratie. Habermas ? Nancy Fraser a levé franchement des doutes sur les concepts de sphère publique à la Habermas. Il aura fallu du temps pour que ce ne soit plus la référence. Aujourd’hui, Dewey est à la mode. J’aime bien Dewey, parce que le « public », ce fameux « nous », se construit par l’enquête. D’une certaine façon, en apprend ensemble. Mais s’impose aujourd’hui l’idée du tirage au sort, l’idée de la sagesse des foules, remis au goût du jour par Hélène Landemore. Très bien tout cela, mais expliquons le à tous et choisissons ensemble ce qu’est une démocratie. Ne prétendons pas avoir les solutions par avance. Parce qu’il y a beaucoup de chance que nous soyons surpris de ce que, collectivement, nous pouvons produire.
Ce qu’à titre personnel je n’ai pas trouvé dans la philosophie politique est la réponse à une question simple : lorsque je suis tiré au sort, ou même, simplement, lorsque je participe au débat public, dois-je le faire en tant que moi, avec mes représentations et mes intérêts ? ou, comme le disait Kant et l’a encore mieux explicité Arendt, dois-je essayer de neutraliser mes propres intérêts et d’être le plus « objectif » possible ?
Il est dommage que cette question basique reste en suspens dans nos débats démocratiques et ne soit même pas précisé dans les projets des uns et des autres, car travailler à sa réponse est sans doute ce qui permettra de réconcilier républicains, démocrates et libertaires.
Réconcilier républicains, démocrates et libertaires et renverser la table
Le pari sincère que nous partageons aujourd’hui à quelques-uns, demain à nombreux espérons-nous, c’est de reconstruire un « nous » assez fort pour prétendre renverser la table, ne pas se laisser imposer des candidats par des partis qui sont coincés par leurs propres questions existentielles, ni imposer une forme de démocratie que nous n’aurions pas construite ensemble.
Pour cela, il faut accepter que les catégories qui sont les nôtres pour penser le politique ne sont pas les bonnes. Sinon, il n’y aurait pas ce dégoût du politique qu’on observe aujourd’hui. Il faut accepter aussi qu’une avant-garde intellectuelle n’apporte pas des solutions mais des outils, du temps et de la patience pour que ce « nous » grandisse. Démocrates voulant mettre des communs au centre de nos représentations mais s’arc-boutant contre des républicains pour qui la chose publique n’est rien d’autre que cet ensemble de communs. Libertaires rêvant d’horizontalité et la posant comme une transcendance… Je ne sais pas, je crois qu’on s’est tous un peu égarés à force de cristalliser nos combats et nos idées dans notre envie de résister et par là d’exister dans ce monde qui est le nôtre mais qui nous échappe.
Prenons la main 2022, finalement, c’est le combat pour la souveraineté populaire. Mais on ne le dit pas comme ça ou pas que comme ça parce que ça fait penser certains à « souverainisme », d’autres à Rousseau et à une vision républicaine insoutenable pour des démocrates ou des libertaires.
Un bref instant, au moins pour quelques mois, essayons d’oublier tout cela pour être ensemble dans un combat décisif pour une démocratie que nous saurons construire si nous nous sentons assez forts. Ça veut dire d’emblée renoncer à des stratégies de pouvoir personnel. Ça veut dire penser un nous qui grandit jour après jour, chaque fois plus ouvert aux autres et chaque fois d’autant plus fort. Que vous soyez militants dans des partis ou signataires d’autres appels, votre place est aussi parmi nous. Rejoignez-nous ! Nous ne dispersons pas nos forces en soutenant plusieurs initiatives qui partagent le même objectif final, nous les unissons.