Paroles d’abstentionnistes – Adeline Piketty – juillet 2021

Paroles d’abstentionnistes recueillies par Adeline Piketty

­‐ Je m’appelle Letika, j’ai 53 ans, je suis caissière, je suis serbe, je suis en France depuis 30 ans, je ne vote pas, car je n’ai pas la nationalité, c’est très aléatoire et pas facile à obtenir les papiers ici. Là, je fais la démarche pour la première fois, avant je n’avais pas la force et le courage.

Je reste de la vieille gauche, celle qu’on connaissait là­‐bas, le parti des travailleurs, le communisme, mais ça n’existe plus ce monde­‐là.

Je serai contente de voter en France, à ce moment­‐là, j’étudierai les biographies, les projets, avant de me décider.

Le Pen ne me fait pas peur, car comme elle parle, c’est un peu fantaisiste. Les gens de droite, ils en font trop, ils surenchérissent. Le Pen, c’est les valeurs traditionnalistes, du passé, comme si on voulait retourner au Moyen Age. On a eu ça en Serbie, ça n’a pas marché pour eux. Ils promettent, ils promettent, mais une fois au pouvoir, ils ne font rien.

­‐ Je m’appelle Silvia, j’ai 44 ans, je suis patronne de bistro. La dernière fois que j’ai voté, c’était en 2002 par peur de Le Pen. Je ne me reconnais dans aucune des personnes qui se présentent, je viens de la banlieue et j’ai l’impression qu’on nous a laissé crever. Leur politique ne m’a jamais servi dans ma vie. Je me sens laissée pour compte. On est devenu un Etat qui réprimande, et qui n’écoute plus. Pour l’Europe, on nous a demandé notre avis, mais ils l’ont fait passer quand même. Au final, on nous la met derrière. Je pourrais retourner voter si c’était quelqu’un qui arrête de nous mentir. S’ils se battent pour avoir la place, c’est qu’elle est bonne. Ils prennent des millions et nous, on mange des pierres en attendant.

Aux dernières présidentielles, comment voter pour quelqu’un qui a trahi son propre camp, ou une qui a trahi son propre père. De toutes façons, la droite, ce ne serait jamais possible pour moi.

Peut­‐être Mélenchon, mais il me fait peur. Il est proche du peuple, mais j’ai peur qu’il me trahisse. Il est provocateur, j’ai peur qu’il en joue, et qu’au fond il veuille seulement la place. Mélenchon, il vend du rêve aux pauvres, il a tout compris en vrai.

Là, le Val de Marne est passé à droite et je me dis que j’ai peut­‐être déconné. Mais quand un homme politique me parle, je comprends pas ce qu’il me dit. Il me fatigue. Il faudrait un mec que tout le monde comprend. Ils sortent des phrases d’un kilomètre. A la fin de leur discours, je suis perdue. J’ai l’impression que la politique, c’est que pour les riches, quand t’as pas fait des études, c’est pas pour toi.

­‐ Je m’appelle Moustapha, j’ai 54 ans, je suis comédien. Je ne vote plus depuis dix ans, je n’ai plus confiance. La plupart, c’est du cinéma. Ils se connaissent hors médias, ils font la pluie et le beau temps. Ils ont fait les mêmes écoles. Devant, ils font comme s’ils n’étaient pas d’accord, alors qu’ils se connaissent tous. Je retournerai voter, si le vote devenait obligatoire, si t’avais une amende, un peu comme le vaccin.

Je les trouve pas proches de nous. Il faudrait que la confiance soit restaurée. Je ne veux plus cautionner ça. Le socialisme n’existe plus, c’est une escroquerie, une arnaque, une fausse espérance.

­‐ Je m’appelle Emilie, j’ai 29 ans, je suis graphiste et chauffeure de transport pour handicapés. Je ne me suis jamais vraiment intéressée à la politique. J’ai grandi avec mon père qui me disait que les politiques, c’était du cinéma, c’était un grand théâtre. Il a voté pour le FN en pensant que ça allait changer les choses. Je me retrouvais pas dans le vote de mon père. En grandissant, je me suis éloignée de ses idées racistes, mais mes amis d’enfance, ils sont restés là­‐dedans, ils n’ont pas évolué.

Ensuite, j’ai commencé à m’y intéresser en regardant Le Petit Journal. Après, j’ai compris l’énervement de mon père. Je n’ai pas confiance dans les médias, alors j’ai du mal à me positionner. Autour de moi, les gens étaient déçus, car les candidats ne tiennent pas leurs promesses.

Si je votais à l’encontre de mes principes, je m’en voudrais. J’ai voté une fois, aux dernières municipales en suivant l’avis de mon copain qui allait dans mon sens, c’est drôle, pour une fois que je votais, celui que j’ai choisi a été élu, tant mieux.

Plus ça va, plus j’ai envie de m’y intéresser, mais il reste le problème de la confiance. Aux régionales, j’ai lu les programmes, mais est­‐ce que c’est pas de la poudre aux yeux. Je n’arrive pas trop à me placer entre gauche et droite.

Je sais que c’est utile, mais j’ai l’impression que l’argent est roi, qu’ils font le show à la télé, mais que les gens ne comptent pas vraiment. Je ne sais pas trop quoi en penser.

Ce qui pourrait me donner envie de voter, ce serait que les gens, des plus pauvres aux plus riches, se concertent pour trouver un candidat qui les représente, plus proche du peuple. Le fait que le vote blanc ne compte pas, c’est un cercle vicieux. Je veux voter blanc, car ça ne va pas des deux côtés, mais ça ne compte pas, donc je ne vote pas.

Si à 18 ans, on m’avait expliqué les fondamentaux, sans les propos racistes qui m’énervaient, je m’y serais intéressée. Je m’y mets petit à petit.

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